Fin tragique d’un vol de nuit VFR

Les vols de nuit VFR sont des expériences inoubliables. On peut apprécier intensément le paysage et la nature et découvrir des perspectives qui n’existent pas ailleurs. Mais les vols de nuit exigent des compétences particulières, de la préparation et de la discipline, comme l’accident relaté ci-dessousle démontre.

Auteur: Markus Kirchgeorg, FFAC

Le 22 janvier 2020 deux pilotes privés avec qualification vol de nuit ont décollé d’Ecuvillens, LSGE, avec un Piper PA-28-181 Archer II pour un vol de nuit. Le pilote avait transmis un plan de vol avec l’itinéraire LSGE – ESEVA – NEMOS – Yverdon (LSGY) – VEROY – Lausanne (LSGL) – SOSAL – Gruyères (LSGT) – Fribourg VOR FRI et retour vers Ecuvillens (LSGE). Ce plan de vol a également été trouvé sur la tablette du copilote accidenté. Des points de passage IFR ont aussi été utilisés à cette occasion, ce qui est également légal pour les vols VFR. L’avion décolle à 19h33 et vole en direction d’ESEVA, premier point de passawge prévu. Etant déjà dans l’espace aérien D, le pilote vole en direction de NEMOS et demande une autorisation de traverser la zone de contrôle de Payerne à 6100 ft AMSL. La traversée est refusée par l’ATC, le pilote entreprend alors immédiatement un virage serré à gauche et quitte la zone de contrôle et la fréquence radio de Payerne.

L’attitude de vol n’est pas stable

Par la suite le pilote ne s’annonce pas à Geneva Information, au Flight Information Centre (FIC) de Genève, alors que, selon SERA, cela aurait été obligatoire pour le vol de nuit en VFR. L’avion vole désormais vers Yverdon-les-Bains, LSGY et survole ce point à 6000 ft AMSL avant de continuer vers VEROX et Lausanne-Blécherette, LSGL à 4080 ft AMSL. Désormais le pilote s’écarte de son plan de vol et longe la rive du lac Léman vers Vevey à 3800 ft AMSL. À 20h02, le pilote vire au nord-est en direction de l’aérodrome de la Gruyère, LSGT, et reste à 3800 ft AMSL avec une vitesse constante de 120 kt. Peu après, l’avion s’écrase aux Pléiades, au lieu-dit Les Corbassires, près de la station de ski de La Châ, à 3888 ft AMSL. L’avion est détruit et les deux pilotes perdent la vie. L’ELT est activé sur 121.5 MHz et la chaîne de sauvetage est activée.

L’avion et les pilotes étaient en vol conformément à la loi, aucun dommage technique à l’avion n’a été observé et aucun  problème médical n’a été constaté chez les pilotes. La météo était bonne avec partiellement, une situation d’inversion. Le ciel était pratiquement sans nuages, à l’exception d’un peu de brume en dessous de 3300 ft AMSL sur le lieu de l’accident. La problématique était sans doute la nuit, plutôt sombre avec un faible clair de lune.

Que pouvons-nous apprendre de cet accident?

La nuit, après un temps d’accommodation suffisant, les objets sont facilement reconnaissables, surtout si l’on peut s’orienter aux  lumières comme celles des villages et des villes. En vol VFR, on peut alors également bien évaluer l’attitude de l’avion. Les champs sombres sans lumière sont souvent des paysages inhabités, des montagnes ou des lacs.

Il est prouvé que les effets d’éblouissement doivent être évités dans le cockpit, afin de ne pas perdre l’accommodation nocturne. De plus, il est connu que lors de l’approche, on estime souvent trop haute l’altitude réelle de l’avion, avec comme conséquence un vol d’approche trop bas. Une étude très intéressante de l’Australian Transport Safety Bureau (note 2) rapporte que près de la moitié des accidents survenant de nuit, mènent au sol sans perte de contrôle de l’avion (Controlled Flight into Terrain CFIT). On suppose que dans la plupart des cas, le pilote ne savait pas à quel point il était déjà proche du sol.

Les auteurs du rapport du SESE estiment qu’il est possible que les pilotes aient voulu revenir, après Vevey vers Gruyères, LSGT sur la route de vol initialement prévue, en omettant le WPT SOSAL. On peut imaginer que les pilotes étaient distraits par la consultation de la tablette très lumineuse, les empêchant de percevoir ce qui se passait en dehors du cockpit. De plus le pilote avait installé sur sa tablette un système de simulation de vol en 3D.

Planification de vol avec une tablette

Nous avons essayé de retracer cela et avons reproduit le vol de nuit VFR prévu, sur différents systèmes. Dans la planification en 2D, le plan de vol peut être reproduit très rapidement. Il faut en outre planifier les altitudes de vol qui doivent être utilisées, car cela n’apparaît sur la carte OACI qu’avec une analyse séparée. La carte OACI indique, dans le segment de figure d’élévation maximale 6800 ft AMSL, certainement pas 4000 ft comme altitude de vol sûre. En résumé, on peut constater qu’avec les outils actuellement largement disponibles, on dispose de suffisamment de moyens, pour planifier également les altitudes de vol de manière sûre. Pour le moment la carte OACI, qui fournit des données altimétriques fiables, est coercitive contraignante. La planification de vol en 2D avec profil ou la planification de vol en 3D avec simulation via Google Maps offrent des méthodes confortables et sûres, en particulier pour simuler un vol de nuit, à la maison, avant de monter dans le cockpit.

Autres suggestions sur le vol à vue de nuit

L’étude citée d’Australie (note 2) mentionne 36 accidents de vol de nuit VFR sur 10 ans. Près de la moitié de ces accidents se sont terminés par un Controlled Flight into Terrain, CFIT, presque tous pendant des nuits particulièrement sombres. Les auteurs soulignent que les vols de montée après le décollage et les approches seraient particulièrement critiques. Comme déjà évoqué, nous devons toujours à nouveau nous rappeler que la nuit, on pense être trop haut et donc on fait une approche trop basse «Too low too early on final.» C’est bien s’il y a un Precision Approach Path Indicator (PAPI).

Il est vital de définir et de respecter pour chaque phase de vol, une altitude minimale de sécurité (LSALT, lowest safe altitude). Nous connaissons de l’école de pilote le phénomène que, la nuit, nous reconnaissons à peine les nuages et les remarquons seulement lorsque nous y sommes entrés. Il est donc d’autant plus important d’être bien exercé à l’horizon artificiel et aussi de savoir comment fonctionne l’instrument de backup AI (Attitude Indicator). Selon l’étude australienne, de nombreux accidents sont dus au fait que la nuit, on entre dans les nuages par inadvertance.

 Australian Transport Safety Bureau «Visual flight at night accidents: What you can’t see can still hurt you.» Research AR-2012-122, published 17 December 2013.